Dans nos archives !

Il y a 180 ans, Liesse recevait la Duchesse d'Angoulême en pèlerinage auprès de Notre-Dame !
Ce texte, tiré du registre des Délibérations Municipales, a été transcrit après la visite !
Il apparaît aujourd'hui bien emphatique, mais c'était tout un événement pour l'époque !
(Toutes les tournures de phrase du texte original ont été respectées.)

Ce jourd'hui, neuf mai mil huit cent vingt-six, Nous, Victor Journeaux, Maire du bourg de Liesse, canton de Sissonne, arrondissement de Laon, Département de l'Aisne, soussigné,
ayant été informé par lettre de Monsieur le Préfet du 15 avril dernier que Son Altesse Royale, Madame la Dauphine, Duchesse d'Angoulême, devait visiter ce bourg dans les premiers jours du mois de mai, m'invitant de faire les dispositions convenables pour recevoir dignement cette auguste Princesse,
et à cet effet, le conseil municipal fut assemblé et arrêta :
1. que la route où devait passer S.A.R. serait promptement rétablie,
2. qu'un arc de triomphe serait élevé à la Porte dite « de Laon » *,
3. qu'une avenue de 500 arbres serait pratiquée depuis cette porte jusqu'à la Halle **,
4. que les habitants seraient invités de décorer le devant de leurs habitations par des guirlandes de verdure et de feuillage et par des emblèmes et devises ingénieuses,
5. que des drapeaux blancs devront flotter à l'une des croisées de chaque maison,
6. que la rue sera sablée *** depuis l'entrée du terroir jusqu'à la Halle,
7. et, finalement, qu'une députation de jeunes demoiselles sera nommée pour présenter au nom de la Commune, une corbeille de fleurs à notre bien-aimée Dauphine et divers objets de la Fabrique **** du Pèlerinage de Notre-Dame de Liesse, lesquels consisteront en :

  • un chapelet monté en or, avec une croix et une médaille de Jubilé aussi en or.
  • une bouteille de 50 figurines, fabrique de M. Delamour - Béglet.
  • un bouquet de fleurs artificielles, fabrique de M . Pilote.

NDLR
* La porte de Laon se situait au « Café du Gros Raisin ».  
** La Halle se trouvait au milieu de l'actuelle place de l'Hôtel de Ville.
*** Bien sûr, à cette époque, les rues n'étaient pas goudronnées !
**** La Fabrique était l'association qui gérait les biens de l'Eglise.

Trois commissions furent nommées dans le sein du Conseil Municipal pour faire exécuter ces divers travaux sous notre surveillance.
Il est difficile de peindre les sentiments que manifestèrent les habitants de Liesse en apprenant qu'ils allaient avoir le bonheur de contempler les traits chéris de l'auguste fille de Louis XVI. Chacun s'empressa de travailler à l'envie, afin de faire quelque chose digne d'Elle et on craignait toujours de n'avoir pas fait assez.
Depuis plusieurs jours, un temps contraire aux préparatifs et aux plaisirs d'une aussi belle fête avait attristé tous les habitants et on faisait les vœux les plus sincères pour le retour au beau temps. Ils furent exaucés !
Dans l'après-midi du 8 mai, des détachements de Hussards de la Garde Royale et de Gendarmerie arrivèrent à Liesse.
Le 9 mai, le jour à jamais mémorable pour les Liessois luit enfin et dès six heures et demie du matin* nous nous rendîmes à la porte de l'église à la tête du Corps Municipal pour y recevoir l'auguste et pieuse Princesse.

La Compagnie de Pompiers était sous les armes et rangée sur deux lignes dans la plus belle tenue ; les détachements de Hussards et de Gendarmes arrivés la veille s'étaient formés à sa gauche. La population entière, augmentée de celle des communes voisines, était placée dans la rue de Laon et attendait avec impatience ce moment désiré.
Il est près de sept heures, les cloches sonnent et l'enthousiasme est à son comble, des cris mille fois répétés de « Vive le Roi, Vive Madame la Dauphine » annoncent l'arrivée de cette digne Princesse et déjà la voiture est devant la porte de l'église où Son Altesse Royale met pied à terre et les acclamations redoublent ; nous nous avançons et Lui présentons les hommages respectueux des habitants de Liesse et L'assurons de leur dévouement à son auguste personne. S.A.R. daigne, avec cette grâce et cette affabilité qui caractérisent si éminemment les Bourbons, répondre « Je les agrée »'. La députation de jeunes demoiselles s'avance et S.A.R. l'accueille avec bonté et manifeste l'intention de l'admettre dans ses appartements à l'issue de la messe. Elle entre ensuite à l'église qui était magnifiquement décorée, accompagnée d'un grand nombre de fidèles. Elle se place sur le prie-dieu destiné pour Elle.
La messe fut célébrée par Monseigneur l'Evêque de Soissons et l'auguste Princesse édifia tous les spectateurs par sa piété et sa dévotion. Après la messe, Monsieur le Curé lui fit voir l'Image de la Sainte Vierge, le Trésor de la Chapelle et les tableaux que ses augustes aïeux ont fait don à l'église de Liesse. Ensuite, Elle monta dans les appartements de la Trésorerie où S.A.R. daigna nous admettre à la tête du Conseil Municipal et nous Lui présentâmes la députation composée de : Melles Lecaux, Delamour, Bernard, Charpentier, Vittard-Tanneur, Vittard-Martin, Thévenart, Leclère, Richer Cécile et Louise, Bonnaut, Picart, Fermier, Danet et Debordeaux. Mademoiselle Lecaux Lui adressa le compliment suivant :
« Qu'il nous soit permis de déposer, aux pied de Votre Altesse Royale, ces petits objets de la fabrique du Pèlerinage de Notre-Dame de Liesse, comme une faible marque de la reconnaissance des habitants de ce bourg. Ce pèlerinage célèbre, Madame, que Vos augustes aïeux ont tant illustré et honoré, différentes fois, de leur présence et dont Vous allez encore relever l'éclat. La France entière a les yeux sur Votre Altesse Royale et admire les vertus d'une Grande Princesse qui, dédaignant les fastes de la Cour et les grandeurs qui l'environnent, vient humblement s'agenouiller près de la Mère de Notre Divin Sauveur. Votre Zèle et Votre Piété pour notre Sainte Religion ne peuvent manquer de trouver des imitateurs et nous nous efforcerons de mériter ce titre.'
Ensuite, Melles Delamour, Thévenart et Leclère offrirent la corbeille à l'auguste Princesse qui l'accepta avec affabilité et daigna faire diverses questions sur les objets qu'elle contenait.
Elle témoigna toute sa satisfaction et adressa des paroles obligeantes à plusieurs demoiselles qui furent pénétrées d'admiration.
Après le déjeuner, Son Altesse Royale redescendit à l'église et se rendit à l'Hôtel-dieu et à La Fontaine, accompagnée de Monseigneur l'Evêque de Soissons, de Monsieur le Curé, du Corps Municipal, de la Compagnie de Pompiers et d'une foule innombrable d'habitants qui faisaient retentir l'air de leurs cris d'allégresse. On ne pouvait se lasser d'admirer le beau coup d'œil que présentait la rue dite « de Laon », ses guirlandes transversales entremêlées de draperies. Les couronnes qui y étaient suspendues, les drapeaux blancs fleurdelisés flottant aux croisées et partout des inscriptions où on lisait « Vive Charles X, Vive Madame la Dauphine, Vive l'Auguste famille des Bourbons » formaient un assemblage admirable. S.A.R. daigna l'observer et en témoigna toute sa satisfaction, arrivée à l'Hôtel-dieu, elle y fut complimentée par une jeune pensionnaire qu'elle accueillit avec bonté. Elle visita cet asile des pauvres, fit une courte prière à la Chapelle et, en sortant, elle jeta un coup d'œil sur l'arc de triomphe élevé à la Porte dite de Laon et tous les spectateurs applaudirent au bon goût qui l'avait dirigé. Ses colonnes étaient entremêlées de lierre et de petites branches de sapin qui faisaient un très bon effet. Des guirlandes de verdure mêlées de fleurs le décoraient élégamment. Il était surmonté d'écussons aux Armes de France et de drapeaux blancs fleurdelisés. On lisait sur le fronton les inscriptions suivantes : d'un côté : « à S.A.R. Madame la Dauphine, le Bourg de Liesse » et de l'autre côté : « Vive Charles X, Vive l'Auguste Famille des Bourbons » et, au-dessous, étaient suspendues des couronnes et un Saint Esprit. Arrivée à la Fontaine, S.A.R. y fit la prière et but de l'eau.
Le moment du départ de l'auguste et pieuse Princesse étant arrivé, elle daigna s'approcher de nous et de la manière la plus gracieuse, nous remercia de la peine que nous avions prise pour Sa réception. Puis elle nous dit « Monsieur le Maire, Je suis très satisfaite de la bonne conduite de vos habitants, ne m'oubliez point dans vos prières ! » Ces paroles mémorables resteront à jamais gravées dans nos cœurs.
Enfin l'illustre Voyageuse monta en voiture et partit aux cris mille et mille fois répétés de « Vive le Roi, Vive Madame la Dauphine », emportant les regrets d'une population qui aurait désiré la posséder plus longtemps. Cette belle journée fut réellement un jour de fête pour les habitants de Liesse et ceux des communes voisines et se termina par une illumination générale.

Fait à la Mairie de Liesse les dits jour et an.
Signé : Journeaux

 

*   Le Maire ne dit pas que la Duchesse d'Angoulême venait du château de Marchais, d'où son arrivée matinale à l'église. Elle a, d'ailleurs, passé 3 jours au château du Comte de Pourtalès !°  C'est après cette visite à Liesse que la Duchesse fit parvenir au Curé Billaudel, une certaine somme d'argent destinée à l'édification de la Chapelle des Arbres Notre-Dame, sur la route de Marchais.
La municipalité est intervenue dans cette réalisation, certainement pour le terrain. Le Maire sera de ce interpellé, le 12 mai 1828 par un des membres du Conseil qui lui demandera : « Il a été dit que, par délibération du 15 mai 1827, le Conseil Municipal déclarait qu'il désirait savoir par quelle autorité le petit monument élevé en l'honneur du voyage de Madame la Dauphine, sur le chemin vicinal conduisant à Marchais, a été fait ? »
Monsieur le Maire a répondu que c'était par ses ordres et sans prétendre nuire ni préjudicier aux droits de la Commune.

 

 

 

La chapelle due à La Duchesse d'Angoulême et réalisée par l'Abbé Billaudel.

 

Rappelons que les 3 arbres séparés représentent les 3 Chevaliers d'Eppes et le 4°, la Princesse Ismérie. Ce lieu-dit a, depuis des temps immémoriaux, toujours été appelé « Les arbres Notre-Dame ».