Il y a juste 100 ans en ce mois d’octobre 2008, le 48° B.C.P., entraîné par leur Commandant Gaston de Chomereau de Saint André, entreprenait un coup de force qui allait bluffer les Allemands cantonnés dans les bois entre Liesse et Marchais. Ce coup de force allait permettre, malgré le minage des routes à la gare et l’important déploiement de plusieurs canons et mitrailleuses autour du bourg, une libération rapide de la ville de Liesse.
Cette offensive éclair allait débuter sur la route de Marchais à un calvaire ancestral, toujours visible aujourd’hui :
Le Calvaire dit de « La Croix de Marchais ».

14 octobre 1918

Les troupes françaises tentent une offensive au départ de Gizy en direction de la gare de Liesse – Gizy mais l’endroit est fortement armé car on y trouve un dépôt de munitions au bois semé et des wagons de munitions sont stockés sur les voies le long de la route de Gizy à Liesse. L’atelier de réparation de canons (à l’emplacement actuel du garage Beaufort) est protégé par 4 canons de fort calibre. De plus, selon les services secrets de renseignements, le passage à niveau est miné ! La résistance allemande est soutenue. Les troupes françaises préfèrent se replier momentanément sur Gizy.
Le Commandant De Chomereau qui vient de rejoindre le 48° Bataillon de Chasseurs à Pied sollicite alors, de la part de son Commandement Supérieur, l’autorisation de tenter un coup de force à son idée. Avec les renseignements des services secrets, il sait pertinemment comment les troupes allemandes ont organisé le site de Liesse, le bois de Liesse entre Marchais et Liesse et leur repli au-delà de la Souche et des marais qu’ils viennent d’inonder en crevant les digues. Le Commandant de Chomereau de Saint André obtient l’autorisation de lancer une offensive selon son idée ! Le 15 octobre, il passera à l’attaque !

15 octobre 1918 – 16 heures

Afin de pouvoir prendre les Allemands à revers, au départ de Gizy et par les bois côté sud, le Commandant infiltre ses troupes vers le parc du château de Marchais. Mais sur les hauteurs de la route, au virage du lieu-dit « La Croix de Marchais », près du calvaire, une mitrailleuse est fortement installée et protège les cantonnements situés derrière elle dans le bois de Liesse.
(A Marchais, les anciens disaient que les servants de cette mitrailleuse y étaient attachés afin qu’ils n’abandonnent pas ce poste !) Le premier objectif du Commandant – comme il l’écrit lui-même dans ses notes – est de réduire cette position défensive ennemie – apparemment la seule position défensive qu’il rencontrera dans cette zone où les Allemands ne surveillaient plus que la route venant de Marchais. La mitrailleuse sera vite détruite par les canons de 75 ! Et les troupes françaises pourront se lancer vers l’ermitage et le Moulin à l’eau, vers le pont de la Souche.
Est-il bien besoin de dire qu’en détruisant cette mitrailleuse, on détruisit également le calvaire qui la jouxtait !

On ne sait pas à quoi ressemblait ce calvaire auparavant. Il était là depuis des centaines d’années puisqu’on en retrouve mention dans l’organisation des processions entre Liesse et Marchais au XVIII° siècle, du temps où le siège de la paroisse était à Marchais. Ce calvaire était aussi une pause bienvenue pour les porteurs lorsque, jusqu’en 1697, les morts de Liesse devaient être accompagnés jusqu’à Marchais pour y être inhumés. 
Après la guerre de 14-18, les habitants rebâtirent un socle mais la croix où le christ qui y présidait n’étant pas récupérable, on décida d’y installer la croix de fer qui jusque-là se trouvait à l’entrée de Liesse (aujourd’hui près de la maison de M. Maroteaux) et, à la place de cette croix, à Liesse, on posa le grand christ qui est toujours visible aujourd’hui.

Laurent Denneval nous a déniché, sur Internet, une carte postale réalisée par les Allemands eux-mêmes en 1914. Cette photo nous apporte les preuves de ce déplacement.

Regardez cette vieille carte postale. En la comparant avec la photo numéro 2 prise du même endroit aujourd’hui à la sortie de Liesse, en direction de Marchais :
=> on reconnaît bien le profil de la route et, à l’arrière-plan, les arbres du bois de Liesse puis, au fond, ceux du parc du château de Marchais (les abattages intempestifs n’avaient pas encore eu lieu !).
=> le socle du calvaire de l’entrée de Liesse est toujours le même ! On le reconnaît bien à sa corniche ouvragée !
et sur la photo allemande on retrouve le profil bien particulier du fer forgé de la croix qui a été ensuite transférée plus loin vers Marchais.
=> Si, sur la photo allemande, on ne voit pas la chapelle des Arbres Notre – Dame, c’est que ses arbres avaient été récemment coupés et que la chapelle elle–même doit, selon l’angle de vue de cette carte postale, se trouver cachée par le socle du calvaire.

Quand on pense aux durs combats qui se sont déroulés autour de la gare de Liesse-Gizy, on pourrait peut-être trouver, dans les archives, une trace de la reconstruction du calvaire de la gare vers la même époque avec un christ identique à celui de la route de Marchais. Ces deux calvaires portent un modèle de Christ bien particulier dit « de Bouchardon », identique également à celui de la place du Calvaire, à Liesse. On reconnaît un Bouchardon à la forme du «perizonium» (le pagne) qui fait une sorte de nœud sur la hanche gauche, à la position du genou gauche, au pied gauche du christ légèrement décalé et à la barbe en collier. C’est un christ de type Syro-Palestinien, encore vivant, le regard tourné vers le ciel sur sa droite, dans une dernière invocation : «  Père ! Pourquoi m’as-tu abandonné ?  ».
(Dans le cimetière de Marchais, devant le porche de l’église, il y a, depuis 1887, une croix avec un Christ de Bouchardon initialement prévu pour le Calvaire de la Rue de Reims à Marchais).

 

(Jean PESTEL)