(Vous pouvez retrouver ci-dessous le discours de notre historien local, M. Jean PESTEL)
Commémoration de la libération de Liesse (15 octobre 1918)
Auprès du calvaire de la Croix de Marchais, point de départ de l’attaque,
En guise d’ouverture des manifestations du centenaire.
Ce calvaire plusieurs fois centenaire - donc très respectable - n’est pas l’unique objet de notre présence ici aujourd’hui. Bien sûr, il a été le reposoir témoin de bien des actes de la vie au temps où Liesse et Marchais étaient réunies. Quand les enterrements des morts de Liesse se faisaient à Marchais, on s’y arrêtait le temps nécessaire aux porteurs de souffler un peu et de dire une prière pour le défunt. Quand les processions allaient d’une église à l’autre, on s’y arrêtait également, on y tirait une salve de mousquet. Il servait de station pour les rogations et toutes les manifestations religieuses concernant nos deux communautés. Le reste du temps, il était une halte reposoir pour le pèlerin en marche vers Notre-Dame ou pour le simple cheminot.
En 1918, ce calvaire a été le point de départ d’un évènement marquant pour notre ville car c’est par la prise des mitrailleuses installées ici que commença la marche libératrice du 48° B.C.P.
(Il est bien évident que les pierres centenaires de ce monument n’ont pas résisté à l’attaque. Il a été relevé après la guerre et la croix de pierre – certainement semblable à celle du calvaire qui se dressait devant l’église de Marchais - a été remplacée par le stipe en fer forgé qui, jusque là se dressait à l’entrée de Liesse. A l’exposition, une carte postale vous montrera ce stipe sur son piédestal d’origine près de la maison de M. Maroteaux)
C’est donc à cette commémoration centenaire que nous devons notre présence ici aujourd’hui.
Il y a cent ans exactement, en cette mi-octobre, les troupes françaises, déployées en éventail de la Somme à la Meuse, reprenaient le dessus et, en une marche forcée, écrasante et victorieuse, refoulaient les envahisseurs vers les frontières de la Belgique par où ils avaient pénétré sur notre territoire en septembre 1914 !
C’est un redoutable honneur qui m’est fait de présenter devant vous, le déroulement des opérations qui ont fait renaître l’espérance dans notre ville de Liesse. Je n’ai ni la compétence militaire ni - bien sûr - le privilège d’avoir vécu ces événements mais je vais essayer au mieux de vous faire revivre ces instants décisifs pour le retour, tant attendu, de notre liberté.
Grâce à l’amabilité de ses petits-enfants, Tristan et Amaury et de ses arrière-petits-enfants, dont Antoine, ici présent à mes côtés, j’ai la chance de pouvoir appuyer mes dires sur les notes du Commandant Gaston De Chomereau de Saint André, celui-là même qui mena les opérations de libération de Liesse les 15 et 16 octobre 1918.
Pour bien comprendre le déroulement de l’opération militaire libératrice, il nous faut remonter aux quelques jours qui précédent.
- Depuis avril 1917 et l’opération Albéricht, les Allemands ont construit et armé toute une ligne de défense parallèle à la Souche et allant de Sissonne à Crécy, la ligne Hundig, portion laonnoise de la Ligne Siegfried, ligne de repli éventuel destinée à barrer la route des troupes françaises. L’inondation des champs autour de la Souche est prévue pour empêcher toute traversée de ce marais.
- Le 10 octobre 1918, les Allemands savent que l’arrivée des troupes françaises est imminente. Tous les habitants de Liesse sont réunis sur la place devant la Kommandantur. Les hommes valides et les jeunes gens sont envoyés en convoi vers Fourmies. Les femmes, les enfants et les personnes âgées sont envoyés à Marchais d’où ils se dirigeront vers Laon pour se faire libérer. De ce fait, à Liesse, il ne reste qu’une seule personne, une dame déjà âgée qui a été réquisitionnée pour assurer les repas des derniers Officiers des 3 Kommandanturs. Les soldats français la retrouveront cachée au fond de sa cave. Mis à part les soldats, personne ne sera témoin de cette partie de notre histoire locale.
- Le 13 octobre, les Français sont à Laon. Le 13 octobre, les troupes Italiennes du Général Albricci libèrent Marchais. Les Allemands se réfugient dans le marais de Marchais. Les Allemands avaient compris que le parc du château, avec ses canaux qui l’entourent et avec tous les arbres abattus qui entraveraient leur repli, constituerait un piège en cul-de-sac. Ils ont donc abandonné le château depuis quelques jours et ils y ont été remplacés par des troupes françaises. Celles-ci se trouvent donc à à peine 500 mètres de ce calvaire où quelques hommes essaient de les maintenir à distance. Les habitants de Marchais, qui allaient à pied jusqu’à Liesse, disaient que le dernier jour du repli, pour être assurés qu’ils tiendraient sans faillir ce poste de mitrailleuses destiné à barrer la route menant à Liesse, les chefs allemands y avaient attaché leurs servants avec des chaînes.
- Le 14 octobre, les troupes françaises essaient de pénétrer dans Liesse par la gare de Gizy mais l’endroit est fortement armé : il y a là - bien gardé - un énorme dépôt de munition, au Bois Semé ; il y a un atelier de réparation de canons ; il y a toute une installation ferroviaire qui dessert la forêt de Samoussy jusqu’à Coucy les Eppes et, surtout qui mène vers les Ardennes et la Belgique par la ligne de Liart ; elle permet aussi la liaison avec la Ligne Hundig, fortement armée derrière le marais de la Souche.
La prise de la Gare est impossible, les soldats Français se replient pour la nuit dans Gizy. C’est là que le Commandant de Chomereau de Saint André, de retour d’une conférence de l’Etat-major, va les rejoindre.
Si on récapitule les différentes positions des troupes, on a :
- derrière moi, Liesse occupée et minée en plusieurs endroits stratégiques ;
- un peu plus à droite, la gare fortement protégée à cause du dépôt de munitions et des ateliers de réparation de canons ;
- entre les deux, jusqu'au bas de cette pente, le canal de la buse et les marais de Gizy ;
- devant moi, le parc du château, enclos par le canal, bien rempli en cet automne 1918 et, à l’intérieur et derrière, le château et le village, occupés depuis 2 jours par les Italiens ;
- sur la gauche, jusqu’à l’ermitage, des positions allemandes avec canons. Ces troupes sont adossées au canal de la Souche et la ligne Hundig est juste derrière ;
- dans les bois entre cette route et Liesse, les cantonnements des allemands et, à Sainte Suzanne, un dépôt gardé de plus de 200 véhicules ;
- enfin ! pour couronner le tout, ici même, un nid de mitrailleuses qui surveille la route de Marchais ! Liesse est bien cernée par les troupes allemandes !!!
Le Commandant a, en main, tous les renseignements des services secrets et il connaît pertinemment les artifices de défense que les Allemands ont mis en place : les endroits minés, les postes de mitrailleuses, les locaux occupés par l’ennemi, les locaux stratégiques, etc… et surtout, il a repéré que les bois dits « de Liesse », contigus à ce calvaire, abritent le cantonnement des troupes allemandes. Les allemands ne peuvent être à la fois à la défense et dans leur cantonnement !
- En cet après midi du 15 octobre, le Commandant De Chomereau va organiser l’attaque par un coup de main osé qui va surprendre les Allemands puisque, plutôt que de les prendre de face, à la station de Gizy, il va contourner la ville et, en passant par le bas de cette côte, se glisser entre les lignes arrières allemandes entre le canal du château et les bords de la rivière, les prenant ainsi à revers !
Ce coup de main débutera à 16 heures par la destruction des mitrailleuses de ce calvaire par les vaillants 75 du 48° BCP. L’unité de de Chomereau est forte de 45 combattants qui bondissent et surprennent l’ennemi dans ses cantonnements. En même temps, du côté de la gare de Gizy, une autre unité française se lance à l’attaque ! Les Allemands sont pris à revers et en tenaille ! Les combats se poursuivent dans les rues de Liesse jusqu’à la nuit ! Bilan de cette opération : 43 prisonniers allemands et 10 mitrailleuses. Du côté français, y compris l’attaque sur la gare de Gizy : 6 tués et 10 blessés. Le lendemain, l’ennemi a quitté les lieux durant la nuit et a abandonné 200 voitures et de nombreux approvisionnements à Sainte Suzanne avant de se replier derrière la Souche
A l’exposition, au travers des textes et des cartes postales, vous pourrez retrouver tous les détails de l’occupation et de la libération de notre ville.
La présence, auprès de nous, des chevaux de Bruno Wattier, nous rappelle que le Commandant De Chomereau, de retour de réunion à l’état major, a rejoint son unité à Gizy, le 14, après une nuit de marche à cheval.
(Une minute de silence s’impose, maintenant en ce lieu particulier et Antoine De Chomereau accompagnera M. le Maire de Liesse pour le dépôt d’une gerbe à la mémoire de tous ceux qui sont tombés dans ces combats)
Jean Pestel / Octobre 2018 / Présentation au pied du Calvaire
Voir plus d'informations sur la libération de Liesse
Voir plus d'informations à propos du Commandant De Chomereau de Saint André